Mélanger les éléments, affronter des hordes de gobelins, harpies et créatures qui sortent d’un maelstrom de références liées aux littératures de l’imaginaire et à la mythologie nordique. C’est l’univers que propose Magicka: Wizards of the Square Tablet. L’éditeur Paradox Interactive se permet même le luxe d’habiller les textes de ses jeux d’un humour à la Monty Python, pour notre plus grand plaisir. La mission ludique confiée aux enfants : collaborer en groupe sans se prendre les pieds dans sa cape.
Le bibliothécaire s’agite plus qu’à son habitude. Le défi est à la fois modeste et technique : permettre aux enfants de jouer à quatre en même temps, sur la même carte, en utilisant quatre tablettes. C’est encore une fois la salle des petits qui est mobilisée, transformée en cocon de projection. Les enfants trépignent d’impatience. Ils veulent à tout prix savoir ce qu’il en retourne derrière ces avatars de magiciens encapuchonnés. Tant pis, le temps presse et il n’y a rien de dramatique à tenter un grand saut vidéoludique sans filet de pixels. Mal lui en a pris, les problèmes techniques s’enchaînent et se déchaînent. Impossible de connecter les quatre tablettes sur un seul et même réseau. Quand la partition souffre de quelques mauvaises notes, le public pardonne rarement. On se débrouille avec modestie en passant de quatre tablettes à deux et on tente, tant bien que mal, d’aborder enfin l’univers de Magicka. Les erreurs techniques réduisent l’audience mais des irréductibles restent, s’approprient et s’amusent. Ils en redemanderont pendant des semaines.
L’offre multimédia sur tablette à La Petite Bibliothèque Ronde peine parfois à toucher les préadolescents. Ces derniers utilisent plutôt l’ordinateur et ce sont les petits (tranche 4-7 ans) qui sollicitent l’outil tactile. Néanmoins, contrairement à ce qui se passe habituellement, Magicka sur tablette a eu son petit succès après l’animation, en service public. Ce sont notamment des préadolescents qui souhaitaient parcourir à nouveau ce jeu. Est-ce que l’univers proposé par Magicka leur convient mieux ? Est-ce que le gameplay plus complexe (système pertinent de combinaison d’éléments) attire un public qui ne trouvait pas son compte dans les ergonomies/jouabilités épurées des applications habituelles sur tablette ?
La place d’une histoire dans un jeu vidéo.
Il y a dans Magicka des structures narratives, une richesse dans le texte qui passe par l’humour. Il y a tout simplement une histoire et un univers au cœur du jeu. Les bibliothécaires pourraient légitimement avoir des attentes sur ce point. Les enfants ont adopté plusieurs attitudes face aux textes du jeu :
• Lecture spontanée et à voix haute d’un enfant au milieu de ses camarades.
• Défilement des textes de façon impatiente, pour jouer plus rapidement au jeu.
• Attitude variable : grappiller ce qui est nécessaire pour comprendre l’histoire des petits personnages qu’ils animent.
Il est intéressant de constater les attitudes des enfants face aux textes dans un jeu vidéo. Même si certains codes sont universels, l’écriture d’une histoire pour un jeu vidéo n’est pas l’écriture d’une histoire pour un roman, n’est pas l’écriture d’une histoire pour un film.
Vous pouvez retrouver la fiche de l’application sur BibApps : Magicka
Un gloubi-boulga ludique : mélangez le scrabble, tetris et ajoutez des mécanismes ludiques à base de pouvoirs et d’éléments. Vous obtenez Letris Power, un jeu d’Ivanovich Games.
Les tablettes sont disposées sur les tables de la salle des albums, les enfants prennent place et peuvent distinguer sur le paperboard une écriture alambiquée : Letris Power. Ils tournent en rond, tâtent les tablettes et remuent les chaises, les explications se font attendre. Le bibliothécaire se transforme pour un temps en professeur d’EPS et demande la création d’équipes. Les enfants se répartissent, choisissent un chef dans leurs rangs et votent des noms d’équipes. Quelques explications, un peu d’entraînement et les choses sérieuses peuvent commencer.
Des rencontres sont organisées autour du mode « duel » de Letris Power. Les règles se détournent. Le mode « deux joueurs » se transforme en mode « six joueurs » (trois contre trois). Il y a la théorie (équipes fixes, tableau de rencontres) et la pratique (qui est toujours un savant détournement, quand elle fonctionne) : les membres des équipes tournent pour équilibrer les niveaux, le tableau des rencontres est abandonné car il n’est plus nécessaire (les enfants s’en soucient peu, ils n’ont pas besoin de ça pour se prendre au jeu). Les rencontres amicales vont durer jusqu’à la fermeture de la bibliothèque et elles ont eu le mérite de rassembler, contrairement à ce que l’on pensait, des petits et des grands.
De la stratégie lettrée à la stratégie ludique.
Cette animation est intéressante à mettre en place en bibliothèque car elle permet d’observer deux attitudes de la part des enfants :
Vous pouvez retrouver la fiche de l’application sur BibApps : Letris Power
Au même titre que la littérature jeunesse, le jeu vidéo cultive un terreau toujours fertile : celui de l’imaginaire. Endosser le rôle d’un prince, d’une aventurière, explorer des terres inconnues, cela fait toujours son effet. Qu’en est-il d’un jeu qui vous donne la chance d’incarner le rôle de deux points de ponctuation ? C’est la proposition de Type:Rider, un jeu de plates-formes produit par Agat-Ex Nihilo et Arte.
Les enfants flânent à la bibliothèque, ils observent du coin de l’œil un ballet qu’ils connaissent bien. La salle des tout-petits se transforme une énième fois sous leurs yeux : les rideaux se tirent, les coussins s’époussettent et le vidéoprojecteur illumine un grand drap blanc servant d’écran géant d’appoint. Les bibliothécaires ouvrent les portes et les enfants s’installent, s’agitent et entretiennent une curiosité collective : l’histoire de deux points ? La typographie ? Comment jouer ? Les bibliothécaires expliquent, ne s’attardent pas, ils effectuent le tutoriel et s’effacent. C’est aux enfants de jouer.
Images, sons et mouvements, à l’écran, captent l’attention de ceux qui regardent, qui contemplent. Tout le monde joue, tour à tour. L’expérience est à la fois audible et collective : fais pas ci, fais pas ça, c’est à moi de jouer, dommage, essaie encore. Le jeu propose une expérience et oppose une résistance. Les enfants s’adaptent, s’entraident et réussissent. Des applaudissements retentissent, les joueurs se félicitent de surmonter ensemble des obstacles. Tout est à leur hauteur, ils le prouvent encore une fois.
Collaborer du bout des doigts…
Le gameplay de Type:Rider est à la fois simple et déroutant : deux boutons de direction (droite et gauche), un bouton de saut. Mais il s’agit d’incarner deux points de ponctuation qui ont une physique particulière qu’il faut dompter pour résoudre les casses-têtes et survoler les plates-formes. Plusieurs approches furent testées par les bibliothécaires :
Les enfants n’abandonnent jamais.
Type: Rider est un jeu exigeant et son gameplay est perfectible. La difficulté est aléatoire et les échecs peuvent frustrer. La physique des deux points à contrôler, les plates-formes qui nécessitent une manipulation optimale. Le jeu n’est pas aisé à prendre en main. En théorie, Type: Rider ne devrait pas convenir à des enfants en groupe (dans une tranche variable : cinq à douze ans). En théorie.
Quand une dynamique de groupe s’installe en amont et que les bibliothécaires peuvent aiguiller, avec parcimonie, tout est possible. Une animation vidéoludique en bibliothèque, cela reste la proposition d’une expérience de jeu. Cette dernière est plus ou moins enrichissante en fonction des mécanismes de gameplay qui sont en place. La difficulté est l’un de ces mécanismes et elle n’éloigne pas les enfants, au contraire. Faisons-leur confiance.
Une porte ouverte
Type: Rider n’est pas proposé à La Petite Bibliothèque Ronde car il bénéficie de l’aura culturelle d’Arte. Non, Type: Rider est avant tout proposé car c’est un très bon jeu vidéo et qu’il permet d’exploiter de nombreuses pistes de médiation. Ce jeu donne la possibilité de découvrir l’histoire de la typographie subtilement (en jouant) ou plus directement (une documentation abondante sur la typographie accessible via le menu du jeu). Est-ce que les bibliothécaires doivent « forcer » les enfants à lire la documentation ? Une démarche différente fut abordée :
Faire confiance aux structures strictement multimédias du jeu vidéo : le son, l’image, le texte, les mécanismes ludiques et narratifs. Les tableaux de Type:Rider sont suffisamment classieux et subtils pour titiller la curiosité des enfants : C’est quoi l’écriture dans ce monde ? C’est quelle époque ce niveau ? Comment elle s’appelle la grosse machine qui fait des lettres ? On n’en demandait pas tant. Le jeu a ouvert une porte et les bibliothécaires pouvaient ensuite aisément prendre le relais en utilisant des abécédaires et des documentaires sur la question pour entretenir la curiosité enfantine.
Vous pouvez retrouver la fiche de l’application sur BibApps : Type:Rider
Les ficelles sont simples, efficaces. Un chronomètre, des thèmes, des lettres, des mots à trouver. Rien de révolutionnaire mais tout est là pour passer un moment convivial. L’application 94 secondes de SCIMOB permet de mettre en place aisément une animation ludique et intergénérationnelle.
Trois tablettes, trois équipes et un paperboard. Les enfants connaissent le jeu du jour et sont des adeptes du petit bac : ils épargnent au bibliothécaire de se perdre dans des explications mais ils n’empêchent pas quelques menus arrangements. Les trois équipes débutent les parties au même moment, un seul enfant par groupe est chargé d’inscrire les réponses sur la tablette (le rôle tourne), un seul enfant par groupe est chargé d’inscrire les scores sur le paperboard. Les parties se multiplient, d’autres joueurs intègrent le jeu et les écarts de points sont variables. Une personne âgée pénètre dans la salle des documentaires et s’amuse de constater cette agitation enfantine : elle intègre une équipe et améliore haut la main le record de la bibliothèque ! La résistance s’organise pour contrer cette joueuse expérimentée qui galvanise son équipe. Un chef de groupe dispose sur sa table des documentaires pour son équipe : atlas, encyclopédie, dictionnaire sur le sport. L’effort est louable mais il ne suffira pas, le score est sans appel.
Un temps pour tout…
La principale difficulté de 94 secondes est un mécanisme ludique vieux comme le monde : le temps. On peut néanmoins distinguer deux temps au cours d’une partie de 94 secondes, dans le cadre d’une animation :
Vous pouvez retrouver la fiche de l’application sur BibApps : 94 Secondes
Manipuler textes, images et sons. Se laisser porter par le hasard et l’imagination. Les applications « Dans mon rêve », « Petite fabrique » et « Ma Poire », de l’éditeur e-Toiles, proposent aux enfants de redécouvrir le cadavre exquis.
Les tablettes sont nonchalamment disposées sur les tables de la salle des albums. Les enfants observent le bibliothécaire se perdre dans des explications étranges à propos d’une chose saugrenue, un cadavre exquis. Le propos est hésitant mais l’essentiel du message passe d’oreilles en oreilles : il s’agit de créer un monstre. Le monstre de la bibliothèque. Trois groupes se font, se défont puis se font à nouveau. L’audience est réduite, c’est aussi la journée de la sortie théâtre. Les irréductibles qui sont encore dans la pièce s’organisent tant bien que mal : un groupe s’occupe de la tête, un autre crée le corps et le dernier se charge des jambes et des pieds. Une grande feuille va accueillir cette création collective. Quand un groupe s’occupe de sa partie, les deux autres découvrent les applications. Une heure plus tard, le résultat est là. À mi-chemin entre une créature extra lunaire débonnaire et une plante grimpante nonchalante, le monstre sera révélé aux trois groupes qui lui trouveront un nom en faisant…un cadavre exquis.
…et ne pas inventer le fil à couper le beurre.
Les applications d’e-Toiles sont intéressantes à prendre en main avec de jeunes enfants (tranche 4-6 ans). Les applications sont soignées et un je-ne-sais-quoi onirique dans le graphisme rend l’expérience agréable à appréhender. Toujours est-il que les enfants font très rapidement le tour de ces applications. Ces dernières avaient néanmoins une utilité pendant l’animation, elles permettaient aux enfants qui manquaient d’inspiration de puiser dans les textes, images et sons pour alimenter le monstre de papier. Ce n’est sûrement pas le but premier de ces applications mais c’est l’usage qui fut observé pendant l’animation. Peut-être que le bibliothécaire a loupé le coche, qu’il n’a pas trouvé d’astuce lui permettant d’incorporer de façon pertinente les applications dans le processus de création. Néanmoins les règles des surréalistes, du papier et des crayons jouent ce rôle à merveille.
Les liens BibApps des applications : Petite fabrique, Ma poire, Dans mon rêve.